Laura Zimmermann - artiste visuelle
- Marie Bagi
- 25 juil.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 nov.

Laura Zimmermann, l’intime à vif : entre douceur et violence
Selon le journal de sa grand-mère, Laura avait déjà décidé à sept ans qu’elle serait artiste. Cette promesse d’enfance, formulée comme une évidence, s’est enracinée profondément en elle. Parisienne, elle étudie à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, en section Design vêtement. Mais malgré la beauté des matières et la rigueur du dessin, la mode ne la comble pas. Elle se rend compte que son véritable terrain d’expression est ailleurs : dans la peinture, ce premier amour qu’elle n’avait jamais trahi.
Très tôt, Laura peint ce qu’elle vit. À dix-huit ans, sa série Party People explore la fête et ses excès. Elle couche la toile à même le sol, y verse son acrylique avec spontanéité et laisse la matière réagir librement. La peinture devient mouvement, pulsation, terrain d’expérience. L’artiste ne titre pas ses œuvres : elle préfère créer des contextes ouverts, où le public projette ses propres récits.
Mais derrière cette liberté du geste se cache une conscience aiguë du monde. La série La Violence ordinaire, inspirée de photographies d’enfants tenant des armes, interroge la manière dont la violence s’insinue dans l’éducation, les mots, les gestes. Laura y peint la fragilité de l’enfance confrontée à l’absurde, à la peur. Progressivement, l’arme disparaît de la composition, remplacée par une tache blanche : un vide, un silence, un espace à combler. Ce geste pictural, à la fois esthétique et symbolique, invite le public à réfléchir sur ce qu’il y projette : la peur, la culpabilité, la responsabilité.
Dans Quand l’horizon blanchit à peine, réalisée durant les années des attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, la question de la censure et de la liberté d’expression s’impose avec force. L’artiste s’interroge : doit-elle anticiper la réaction du public, s’autocensurer ? Elle se souvient alors des mots de Gilles Deleuze : « Le peintre n’a pas à remplir une surface blanche, il doit plutôt la vider. » C’est ainsi qu’elle conçoit Le vide, une œuvre charnière où elle tente de faire surgir la lumière du chaos.
Cette violence du monde, Laura ne la nie pas, mais elle la transforme. Elle l’adoucit sans l’édulcorer. Sa série Amour (2016) apparaît comme une respiration après la tempête. Les gestes s’y font plus légers, les formes plus mouvantes, les dessins plus sensuels. L’amour y est pluriel, parfois tendre, parfois brutal car la sexualité, dit-elle, peut elle aussi porter en elle une part de violence. Elle dénonce la manière dont, encore aujourd’hui, une artiste femme traitant de ces sujets se voit jugée ou mal interprétée. En réponse, elle revendique la liberté du corps et du regard.
La naissance de son fils, Salaï, marque une nouvelle ère. Faute d’un « lieu à soi », la peinture se suspend un temps, mais le dessin prend le relais. Salaï devient une série fondatrice : des croquis rapides, intimes, tracés dans l’urgence du quotidien. Elle y capture le visage en mouvement de son enfant, la beauté épuisante de la maternité, cette fusion qui frôle parfois la dissolution de soi.Puis vient Parasite, où elle représente d’abord son fils puis sa fille au sein, littéralement greffé à son corps. Dans ces œuvres réalisées in situ, la maternité n’est pas idéalisée : elle est instinctive, ambivalente, organique. L’allaitement, encore tabou dans l’espace public, devient acte de résistance et d’amour inconditionnel. Laura y révèle la double face de la maternité, entre don et perte, douceur et asservissement.
Cette exploration du lien mère-enfant s’étend à une réflexion plus large sur la condition humaine : la dualité entre naissance et mort, vulnérabilité et puissance, tendresse et tension. Laura parle de ses séries comme de « journaux de vie », des archives visuelles de son propre cheminement. À travers le dessin, le geste répétitif et réconfortant, elle trouve une forme de thérapie. La répétition devient un rituel, une respiration, un moyen de se souvenir, d’apaiser, de continuer.
Dans sa pratique, la notion de contraste est omniprésente. Elle s’exprime autant dans les couleurs vives que dans les thèmes abordés. La douceur du trait se confronte à la rudesse du sujet. Elle utilise les crayons de couleur, outils de l’enfance, pour traiter de la guerre, de la perte, de la peur. Ce contraste crée une tension visuelle et émotionnelle puissante : l’innocence et la brutalité cohabitent sur la même surface.L’ajout de broderies, héritage de sa formation en Design vêtement, vient adoucir ces tensions. Le fil, symbole de soin et de domesticité, relie ses différentes pratiques, couture, peinture, dessin, dans un dialogue où l’outil devient le sujet.
Dans sa série Les Yeux fermés, Laura va encore plus loin. Elle évoque les enfants à travers le monde : ceux qui grandissent dans le cocon d’une Suisse paisible, et ceux qui, ailleurs, affrontent l’horreur. La douceur du regard se teinte de conscience. Elle nous demande d’accepter de voir ce que nous préférons ignorer. De cette prise de conscience naît Amour (2023), réponse candide au chaos. L’artiste frôle ici l’abstraction, comme si la lumière pouvait enfin prendre le relais sur la douleur.
Aujourd’hui, Laura poursuit sa recherche avec maturité et liberté. Sa peinture et son dessin ne sont plus seulement des formes d’expression, mais des espaces d’existence. Elle y mêle le politique et l’intime, le collectif et le personnel. Son travail, profondément ancré dans le réel, témoigne de notre humanité en tension, cette ambivalence entre la tendresse et la violence, entre le cri et le silence.
Laura peint le monde avec le cœur d’une mère, les yeux d’une enfant, et la lucidité d’une femme.Son œuvre, habitée, vibrante, invite à regarder autrement ce que nous taisons, et à aimer, malgré tout, ce qui demeure fragile et vivant.
Dre Marie Bagi
Directrice du Musée Artistes Femmes (MAF)
Publié le 4 novembre 2025









