Katia Bornoz - peintresse
- Marie Bagi
- 25 juin
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 nov.

Katia Bornoz, le geste comme respiration
Chez Katia Bornoz, tout part du mouvement. Née à Lausanne d’un père vénitien et d’une mère alsacienne, elle grandit entre deux cultures, deux sensibilités, et trouve très tôt son langage dans le corps. À cinq ans, elle entre dans l’école de Simone Sutter, où elle découvre la danse classique. Ce premier apprentissage est une aventure du corps, marquée par la rigueur et l’exigence. À Zurich puis à Paris, elle se perfectionne avant d’intégrer le Grand Théâtre de Dijon. La scène devient alors son espace vital, un territoire d’expression où elle transforme les émotions en gestes.
Lorsque ses parents divorcent et que son père s’éloigne, la danse devient un refuge, un exutoire. Chaque arabesque, chaque pas répété la relie à ce qui reste vivant en elle. Pendant dix ans, elle danse professionnellement, puis une blessure au genou gauche, à la veille de ses trente ans, interrompt brutalement cet élan. Il faut alors se réinventer.
La reconversion se fait d’abord dans un autre monde : celui de Swatch, où elle participe au lancement de la Flick Flack, montre emblématique des années 1990. Six années passées dans cette entreprise forgent une autre forme de rigueur, mais l’art n’est jamais loin. Après la naissance de son premier fils, Katia se consacre à sa famille tout en nourrissant sa curiosité créative. Elle entreprend une formation en décoration d’intérieur, suit des cours du soir durant trois ans et obtient un certificat de décoration d’intérieure, agencement et mobilier ainsi qu’un brevet d’ensemblière - décoratrice à l’école M. J. Dubois de Lausanne. Parallèlement, elle apprend les techniques des meubles patinés : travail des pigments, des liants, des textures. De là naît son entreprise Rêves d’intérieurs, qu’elle dirige pendant dix ans.
Mais la peinture finit par s’imposer comme un retour à l’essentiel.Le passage de l’objet au support plat est une libération. La technique, acquise au fil des années, se met au service d’un geste plus instinctif. Katia collectionne les pigments, les connaît, les sent, les mélange. Elle suit des stages avec Jacques Walter, qui lui loue son atelier un temps, avant de s’installer dans le sien, à Pully. C’est là, dans cette lumière, qu’elle peint.
Ses toiles commencent toujours à plat, au sol. Le geste s’y déploie large, ample, presque chorégraphique. Puis elle redresse la toile, la confronte à la verticalité, comme pour éprouver la gravité du mouvement. Le corps se met en action, retrouve l’énergie de la danse : la tension du muscle, la respiration du rythme, le relâchement du souffle. Le mouvement est sa première matière.
Elle parle de lâcher-prise, mais c’est un lâcher-prise maîtrisé, celui que nous apprenons en répétant, en tombant, en recommençant. La peinture devient une danse silencieuse. Le pinceau suit la musique qu’elle écoute, son geste répond aux battements d’un morceau, à une pulsation intérieure. « La première chose qui m’anime, c’est le mouvement », dit-elle.
Katia expérimente : acrylique, encres de Chine, crayons de couleur, pigments purs. Elle aime sentir la densité du terre de vigne, la luminosité d’un bleu profond. Ses toiles naissent de ces variations de textures et d’intensités. La matière est travaillée comme une peau, parfois grattée, parfois polie, toujours en mouvement.
L’ancienne danseuse retrouve ici la scène : l’atelier devient un plateau, la toile un partenaire. Le geste est respiration, incarnation, dialogue entre le corps et la matière. Chaque ligne est un souffle, chaque trace, une pulsation.
La discipline de la danse a forgé en elle une conscience aiguë du geste juste. Elle sait que la liberté ne s’obtient que par la répétition, que le lâcher-prise est un fruit de la rigueur. Ses toiles portent cette tension, entre précision et spontanéité, entre structure et flux. Elles vibrent d’une énergie organique, fluide, presque chorégraphique.
Katia cite souvent Rainer Maria Rilke, dont les mots guident son processus : « Votre doute lui-même peut devenir une bonne chose si vous en faites l’éducation. ». Le doute, chez elle, n’est pas paralysant : il est moteur, un souffle qui pousse à chercher plus loin. Peindre, pour elle, c’est questionner ce doute, c’est l’habiter, le transformer en mouvement.
Ainsi, le geste devient langage, le mouvement, écriture.Dans chacune de ses œuvres, nous retrouvons le rythme du corps, la musicalité du trait, l’énergie de la vie en perpétuel déséquilibre. Chaque toile est une traversée, entre la danse et la peinture, entre l’abandon et la maîtrise, entre la mémoire du corps et le présent du geste.
Pour Katia, la peinture est une danse continuée par d’autres moyens.Un art du souffle et du recommencement.Un dialogue sensible entre le corps, la matière et la lumière.
Dre Marie Bagi
Directrice du Musée Artistes Femmes (MAF)
Publié le 4 novembre 2025











