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Joëlle Cabanne - artiste plasticienne

Dernière mise à jour : 5 nov.

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Joëlle Cabanne, l’espace de l’indigo


Chez Joëlle Cabanne, l’art est une respiration, un prolongement naturel de la vie et du monde qui l’entoure. Depuis plus de trente ans, elle avance avec douceur et détermination sur un chemin d’artiste qu’elle s’est forgé seule, patiemment, entre la rigueur de l’architecture et la liberté du geste pictural. Sa première exposition, à seize ans, dans un tea-room genevois, fut une révélation. Elle vend tout, non sans une étrange impression de perte, comme si chaque toile emportait un fragment d’elle-même. C’était déjà là, dans cette tension entre attachement et détachement, que se jouait l’essence de sa création : la nécessité de donner forme à l’intime tout en l’offrant au monde.


Fille d’un architecte et d’une secrétaire de direction d’un bureau d’architecte, Joëlle grandit au milieu des plans et des calques. Enfant, elle coloriait les papiers translucides de ses parents avec des crayons polychromos, traçant déjà ses premiers dialogues entre lumière, matière et espace. Cette sensibilité architecturale ne la quittera jamais. Après une maturité artistique, elle entame des études d’histoire de l’art, de grec moderne et d’histoire du cinéma aux universités de Lausanne et Genève, avant d’entrer à l’EPFL en architecture. Elle obtient ensuite son bachelor à la Haute école d'art de Genève (HEAD). À cette période, la perte de son père marque un tournant profond : elle se replie vers la peinture et les chevaux, deux refuges, deux formes de liberté. Plus tard, elle co-fonde un cabinet d’architecture et d’urbanisme à Carouge, alliant ainsi ses deux vocations, concevoir et créer.


Vue atelier travail genius loci / maquette de travail pour une installation / 2024
Vue atelier travail genius loci / maquette de travail pour une installation / 2024

Son œuvre picturale, multiple et introspective, est traversée par le geste, le souffle, la matière. Joëlle travaille simultanément le dessin et la peinture. Elle aime le contact du papier, la spontanéité du trait, et la profondeur que lui offre l’encre, sa technique de prédilection depuis 2010. L’indigo est devenu la teinte maîtresse de son univers. Un bleu profond, presque spirituel, qu’elle appelle son « indigo », couleur de la nuit et de la lumière mêlées.


Dans ses toiles, souvent abstraites mais habitées de paysages intérieurs, la nature affleure. Le geste pictural devient rituel : elle peint au sol, en écoutant un extrait d’un morceau musical en boucle, se laissant guider par le rythme et l’intuition. Elle parle de « processus de connexion », ce moment suspendu où la pensée s’efface pour laisser place à l’émotion. L’atelier devient un espace spirituel, un lieu de passage entre le visible et l’invisible.


La peinture est pour elle un acte méditatif, une forme de respiration. Elle dit peindre « par-dessus », dans une vision surplombante, comme si elle embrassait le monde d’un seul regard. Elle utilise parfois d’anciens draps qu’elle place au sol pour le protéger, objets de mémoire transformés en territoires picturaux. Le bleu, omniprésent, devient langage. Il dit la profondeur du ciel et de l’océan, mais aussi la mélancolie, la transparence et la vie. Il relie la terre au cosmos, la pensée à la matière.


Depuis 2018, Joëlle approfondit sa recherche autour du papier, médium fragile et essentiel. Dans sa série Genius Loci, elle explore la modélisation d’environnements en papier froissé, plié, trempé dans l’encre indigo. Le papier devient volume, topographie, monde miniature. Une fois durci, il prend forme et invite à la projection : chacun peut y lire une vallée, un relief, une carte intérieure. L’artiste joue avec la transparence, la densité, les ombres. Elle photographie ensuite ces sculptures de papier pour en révéler des perspectives nouvelles, entre réalité et vision.


Le choix du papier washo de l’atelier Hawagami au Japon, fabriqué depuis plus de 1500 ans à partir de fibres naturelles, s’inscrit dans cette démarche de respect et de continuité. Matière vivante, respirante, il prolonge son rapport à la nature et à la durabilité. Le processus devient une méditation lente : tremper, imprégner, sécher, façonner. L’eau et l’encre travaillent ensemble, et de leur rencontre naît une géographie intime. L’eau provenant ainsi de glaciers, de la mer Méditerranée ou encore des canaux de Venise pour un futur projet.


Dans la philosophie japonaise, que Joëlle affectionne, l’indigo incarne la dualité : à la fois couleur de la nuit et reflet du ciel infini. Cette tension entre obscurité et lumière, entre plénitude et absence, se retrouve dans toute son œuvre. Le bleu devient un équilibre, un espace entre les contraires.


Sa pratique, à la croisée de l’art et de l’architecture, interroge la place du corps et du regard dans l’espace. Elle crée des environnements qui enveloppent le public, des surfaces à contempler mais aussi à habiter du regard. Son travail ne se limite pas à la peinture : il devient installation, paysage, expérience.


Peindre, pour Joëlle, c’est avant tout célébrer la vie. Chaque œuvre porte en elle un souffle de gratitude envers la nature, la lumière, le temps. En reversant une part de ses ventes à des associations de protection de la biodiversité, elle ancre son geste artistique dans un engagement éthique et poétique à la fois.


Entre encre et eau, entre matière et esprit, Joëlle poursuit son dialogue avec le monde. Dans ses papiers froissés, dans ses bleus infinis, quelque chose de la lumière s’attarde, un écho du vivant, fragile et éternel.


Dre Marie Bagi

Directrice du Musée Artistes Femmes (MAF)


Publié le 4 novembre 2025



 
 
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