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Hélia Aluai - artiste visuelle

Dernière mise à jour : 5 nov.

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Hélia Aluai, entre fil, mémoire et transparence du monde


Née sur l’île de Sal, au Cap-Vert, alors colonie portugaise, Hélia grandit au Portugal, à Espinho, près de Porto. Entre la rigueur d’un père militaire et la douceur d’une mère peintresse autodidacte, son enfance s’écoule au rythme des marées et des couleurs. Le dessin devient très tôt son refuge. La ligne, la forme ainsi que le trait deviennent son langage secret. Elle trace, elle raconte, elle répare par la main ce que la parole ne parvient pas à dire.


Formée aux Beaux-Arts de Porto, elle étudie la peinture, le graphisme, puis la sculpture, avant de poursuivre un master en architecture. Cette traversée des disciplines construit un regard attentif aux structures du monde, à l’équilibre entre la matière et le vide. En Suisse, où elle s’installe il y a quelques années, elle doit tout reconstruire : un réseau, une langue, un espace d’existence. Dans cette terre d’accueil, elle enseigne aujourd’hui le dessin et l’illustration à l’école Canvas à Lausanne et à Renens. L’échange avec les jeunes, dit-elle, la nourrit : « Ils sont curieux, enthousiastes, et me rappellent ce que c’est que d’avoir soif de comprendre. »


Mais derrière ce quotidien d’enseignante se déploie un univers artistique d’une grande profondeur. Hélia y tisse, littéralement, les fils de sa mémoire. Le tissu est devenu son médium essentiel : une matière à la fois fragile et résistante, un espace de projection et de transparence. Elle le choisit léger, presque immatériel, pour que l’œuvre puisse s’intégrer dans son environnement sans jamais l’envahir. Chaque oeuvre, chaque surface cousue est un autoportrait. Les fils suspendus deviennent racines, symboles d’un déracinement vécu et d’un nouvel enracinement en devenir.Ces fils, souvent rouges, rappellent la passion et le lien du cœur. Ils descendent dans l’espace comme des prolongements de soi, cherchant leur place dans le monde; un rappel à l’oeuvre de Shiharu Shiota (*1972), artiste japonaise, connue pour ses installations immersives au fil rouge. 


Hélia a hérité de sa mère une vieille machine à coudre : outil intime et initiatique, qui relie les générations et coud la mémoire au présent. Le tissu qu’elle utilise provient souvent des rideaux de la maison familiale. Ce sont des fragments de son passé, des morceaux de vie qu’elle réactive par la création. Le crochet, qu’elle pratique aussi, lui évoque la toile d’araignée: protection domestique, symbole de la mère. Comme Louise Bourgeois (1911-2010), dont elle partage la sensibilité, Hélia tisse pour se souvenir, pour se reconstruire. Le fil devient un dialogue, une façon de « parler avec elle-même ».


La pierre intervient également dans son œuvre : elle l’enveloppe de tissu, la suspend à un fil, lui redonne un souffle. Ces pierres, parfois réelles, parfois façonnées en sagex pour en alléger le poids, rappellent la densité du souvenir. La pierre devient symbole d’ancrage, de persistance, tandis que le tissu incarne le passage et la légèreté. Par ce contraste, Hélia questionne le rapport entre ce qui pèse et ce qui s’envole, entre le visible et l’invisible.

Sa pratique du dessin et de l’illustration complète cette recherche. Souvent réalisées à l’encre de Chine ou sur tablette numérique, ses figures féminines rappellent des jeunes filles aux visages doux et mélancoliques habitées par la saudade portugaise : cette nostalgie lumineuse, ce manque que nous chérissons. Elles incarnent la petite fille qu’elle fut, oscillant entre rêve et absence, entre l’ici et l’ailleurs. Ces personnages, simples en apparence, sont porteurs d’une émotion universelle. Les anciens maîtres tels que Rembrandt (), le noir et blanc, l’art victorien et gothique, le dessin japonais, les estampes, la bande-dessinée franco-belge ainsi que la gravure au burin et le dessin à l’encre de Chine sont des influences pour son oeuvre. Tout cela bercé par la littérature, la musique  et la danse rythmant ses heures de travail. De ce fait, le dessin devient une pratique, une discipline, dit-elle. 


Son œuvre récente s’étend à l’illustration narrative et à la création d’objets : poupées de tissu, feutre et acrylique, personnages de cirque, figures mythiques et hybrides. Hélia y retrouve la magie du conte et la théâtralité de l’imaginaire populaire. Chaque dessin, chaque objet devient mémoire : la mémoire d’un peuple, d’une maison, d’un cycle.

Cette notion de maison vivante, récurrente dans son travail, incarne le lieu de tous les retours : la maison d’enfance, la maison quittée, la maison que nous portons en nous. Les matériaux, tissus, fils, papiers, fragments, deviennent des archives sensibles. Elle parle parfois de fausse mémoire, de souvenirs reconstruits, d’images mentales que nous nous persuadons d’avoir vécues. Ce glissement entre vrai et inventé nourrit son rapport à la mémoire collective et à l’identité.


Curieuse de comprendre les mécanismes de la pensée, Hélia collabore aujourd’hui avec des scientifiques du CHUV, explorant la manière dont le cerveau conserve et transforme les souvenirs. Cette rencontre entre art et science s’inscrit naturellement dans sa recherche : voir comment la mémoire se tisse, comment elle se délite, comment elle s’invente. Elle s’intéresse aussi à la gravure ancienne, notamment aux memento mori et aux cartes de tarot qu’elle conçoit en gravure, dont elle retient le mysticisme discret et la réflexion sur la mort.


Dans son univers, tout se relie : la vie, la perte, le souvenir, la transmission. Le fil est à la fois lien et fracture, cicatrice et attachement. Ses œuvres, suspendues entre terre et ciel, racontent la tentative d’une femme de rester ancrée tout en demeurant libre.


Membre des comités Aperti et ArtyShow, ainsi qu’artiste membre de Visarte, Hélia continue d’enrichir la scène artistique suisse de son regard singulier. Son œuvre, profondément introspective mais ouverte au monde, nous parle de ce qui perdure : la mémoire, les racines, la trace. Elle nous rappelle que l’art peut, comme le fil qui pend de la machine maternelle, relier les temps et recoudre les absences.


Dre Marie Bagi

Directrice du Musée Artistes Femmes (MAF)

Publié le 4 novembre 2025



Partie d'une installation artistique réalisée en 2020 pendant une résidence artistique aux Açores.

Thèmes : le lieu, son identité, la mémoire et l’appartenance.

Année : 2020

Matériaux : tissus, cailloux, fil

Dimensions variables, jusqu’à 3 m de hauteur par 2 x 2 m

 
 
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