Daniela Markovic - artiste plasticienne
- Marie Bagi
- 28 août
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 nov.

Daniela Markovic, de la matière à la résilience
Née à Rambouillet, près de Paris, dans une famille d’origine serbe, Daniela Markovic grandit dans un univers où la rigueur, la tradition et le travail sont des valeurs cardinales. Très tôt pourtant, elle s’écarte du cadre. Enfant, elle dessine, sculpte, peint. L’art, déjà, s’impose comme une nécessité, un souffle vital. Mais cette vocation, trop libre pour les attentes familiales, reste longtemps en retrait.Elle choisit d’abord une voie plus conventionnelle : des études d’économie, menées entre l’Allemagne et l’Angleterre, où elle vit sept ans. C’est là qu’elle se marie et devient mère d’un fils, aujourd’hui jeune adulte. En 2010, elle s’installe à Lausanne, près du lac Léman, dont les reflets et les humeurs deviendront l’un de ses motifs récurrents.
L’eau, la peau, la matière : trois mots qui résument l’essence de son œuvre.Mais avant tout, ce sont ses automates qui marquent un tournant dans sa pratique. Formes hybrides entre sculpture, peinture et installation, ils traduisent le passage de l’émotion au mouvement, de la blessure à la création.Une série de quatre à cinq automates voit le jour sur une période d’environ deux ans et demi. Le premier prend forme deux semaines après une rupture amoureuse, après dix ans de vie partagée. Le choc devient alors énergie créatrice. Ces machines sensibles, dotées de mécanismes sonores et de mouvements subtils, traduisent le tumulte émotionnel d’une séparation. Proches de l’esprit de Jean Tinguely (1925-1991) et de Niki de Saint Phalle (1930-2002), ces œuvres explorent le mouvement comme prolongement de l’émotion, non dans la dérision mais dans la sincérité.« Il fallait que ça bouge », dit-elle. Ces sculptures animées deviennent métaphore de la vie après le choc, du cœur qui recommence à battre.
Le papier froissé, encore et toujours, persiste dans ses nouvelles œuvres. Il reste le symbole de ce qui a été brisé mais continue de vivre, de respirer. Chez Daniela, rien n’est jamais perdu : tout se transforme, tout se réinvente. Ses thématiques : la rupture, la fragilité, la force intérieure se déploient dans des formes toujours sensuelles, toujours humaines. L’émotion y est palpable, contenue dans la matière même : la peinture, la texture, le son.
Ses deux séries majeures, Léman, roi de nos lacs et À Fleur de peau, incarnent les deux versants de son univers, la contemplation et la blessure, la nature et l’humain.Dans Léman, roi de nos lacs, elle rend hommage à la puissance du paysage, à la lumière mouvante du lac, à son éternelle transformation. Travaillant au couteau, elle superpose des couches épaisses qu’elle gratte et frotte jusqu’à révéler la profondeur cachée de la surface. Sa peinture, à la fois tactile et vibrante, capture la texture de l’eau et de la lumière. Inspirée par Ferdinand Hodler (1853-1918), elle use de couleurs vives et contrastées, jouant avec les reliefs sableux de la toile. Chez elle, la nature devient un miroir intérieur : le lac, un visage mouvant, tantôt calme, tantôt tourmenté.
Mais c’est avec la série À Fleur de peau que Daniela livre sa part la plus intime et la plus bouleversante. Réalisée sur papier kraft froissé, cette série rend hommage à des femmes issues du milieu de la prostitution. Les corps y sont fragiles, puissants, marqués par la vie. Le papier, froissé et irrégulier, devient métaphore de ces existences : un support jamais lisse, comme une peau traversée de cicatrices.« Lola », par exemple, femme à demi nue, cigarette à la main, incarne ce regard sur la vulnérabilité et la dignité humaine. Daniela peint ces femmes avec compassion, sans jugement, et intègre à ses expositions des QR codes menant à des témoignages et à des musiques, notamment celles de Syrano, pour donner voix à celles que nous taisons.
Ce choix du papier kraft, modeste et brut, dépasse le symbolique. Daniela y inscrit aussi ses propres blessures. Ses œuvres deviennent une catharsis : le geste pictural lui permet de revisiter son passé, de transformer la douleur vécue en Angleterre en une matière esthétique. Chaque pli du papier porte la trace d’une cicatrice, chaque teinte chaude ou brune devient une peau en train de guérir. L’artiste évoque ici la résilience, thème central de son travail : une fragilité assumée, rendue belle.
Concernant sa formation, elle est titulaire d’une licence en Arts plastiques et d’un master en Recherche Arts plastiques et création contemporaine, obtenus sur le tard à la Sorbonne, ce qui renforce cette articulation entre pensée et matière. En 2022, elle expose À Fleur de peau à La Maison de la Femme à Lausanne et à Rambouillet, avant de rejoindre le comité d’Espace Artistes Femmes, où elle participe à la première exposition organisée dans ses locaux.
À travers ses séries, Daniela explore les mouvements de l’âme. Son travail est fait de contrastes, entre la douceur du geste et la brutalité du vécu, entre l’éclat des couleurs et la gravité des sujets. Elle peint l’humain dans sa complexité, sa beauté imparfaite, sa vulnérabilité.Chaque œuvre est un fragment de vie, une tentative d’immortaliser l’instant où la douleur devient lumière.
Aujourd’hui, Daniela continue d’alterner entre peinture et sculpture, entre le silence du papier et le bruit mécanique de ses automates. Elle poursuit un dialogue constant avec la matière, qu’elle malaxe, gratte, froisse, jusqu’à la rendre vivante.
Son œuvre, à la fois charnelle et spirituelle, parle de renaissance : celle d’une femme, d’une artiste, d’un être en quête d’équilibre.Entre le Léman et la peau, entre la vibration de l’eau et la cicatrice du papier, Daniela peint la vie telle qu’elle est imparfaite, mouvante, et infiniment belle.
Dre Marie Bagi
Directrice du Musée Artistes Femmes (MAF)
Publié le 4 novembre 2025









