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Audrey Piguet - photographe

Dernière mise à jour : 6 nov.

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Audrey Piguet, entre intime, métamorphose et temps suspendu


Avant que l’art ne s’impose à elle, Audrey Piguet s’était tournée vers les mathématiques ou la biologie. Elle s’imaginait alors suivre un chemin académique, rationnel, presque prévisible.


Mais la vie, parfois, redessine ses propres courbes. Sensibilisée dès l’enfance par son grand-père, artiste peintre et instructeur de plongée, elle avait déjà en elle cette tension entre observation et émotion, entre mesure et mystère. Lorsque la photographie entre dans sa vie, c’est comme une évidence : elle y retrouve le même équilibre que dans la science, un mariage subtil entre rigueur et intuition.


Formée au Centre d’Enseignements Professionnels de Vevey, où elle obtient son diplôme en 2012 avec mention, Audrey développe très tôt une approche méticuleuse et picturale de la photographie. Son travail, minutieux et pensé, mêle croquis préparatoires, fabrication de costumes, mise en scène, prises de vue et retouches numériques. Chaque image est construite comme une peinture. Le temps de la création se compte en semaines, parfois en mois. Ce processus lent, quasi rituel, fait partie intégrante de l’œuvre : il est son souffle, son battement.


À travers l’objectif, Audrey cherche à traduire des mondes intérieurs. Elle s’y met parfois en scène, mais sans jamais se confondre avec ses personnages : elle les habite pour mieux les laisser exister. Ce jeu de métamorphose, né de son goût d’enfance pour le déguisement, devient un instrument d’exploration identitaire. Dans chacune de ses séries, elle interroge la fragilité du moi, la dualité du genre, la part instinctive et animale de l’humain.


Sa série Funeral, commencée en 2011 et toujours en cours, explore la relation entre la mort et la mémoire, entre le passage et l’éternité. Les modèles, souvent des personnes sans expérience de pose, y sont représentés avec une intensité fragile. Le regard est clos parfois dissimulé, comme pour préserver l’âme. Dans Funeral Groom (2015), le chapeau qui se dissout dans la lumière devient symbole du temps qui s’efface, du corps qui se détache.

Audrey y convoque un romantisme moderne, inspiré autant par la peinture préraphaélite que par l’imagerie symboliste : l’ombre, le silence et la beauté s’y rejoignent.


Dans Parasomnia, l’artiste aborde une expérience plus intime : la paralysie du sommeil, phénomène qu’elle a elle-même connu. Ses images, baignées de lumière douce, dévoilent une douleur apaisée, un corps à la fois vulnérable et sacré. Dans Parasomnia 6, la plaie d’où s’écoulent des végétaux au lieu de sang devient métaphore de la guérison : une blessure transfigurée par la nature. L’art, pour Audrey, est un exorcisme et une renaissance.


Cette démarche introspective s’inscrit dans une recherche plus vaste sur le temps. Dans Kairos, elle aborde l’instant juste, celui où tout peut basculer, où le présent devient éternité. La photographie devient un arrêt, une suspension du flux. Chaque image est une respiration entre deux battements de vie.


Mais derrière cette douceur se cache un combat. Audrey aborde les tabous, la solitude, la vulnérabilité, la pression d’une société qui exige la perfection. Dans La Chute des héros, elle évoque la nécessité d’accepter la faille, de faire tomber les masques, de retrouver la sincérité du geste. Car créer, pour elle, c’est se mettre à nu, lentement, douloureusement, mais nécessairement.


Dans ses séries récentes, la nature devient refuge. Après des années en studio, Audrey s’en échappe régulièrement pour explorer les paysages. L’eau, les méandres, les formes organiques parfois abstraites s’imposent à elle comme un miroir intérieur. Ses photographies s’apaisent sans jamais se détacher de leur profondeur. Le végétal et l’animal, récurrents dans son travail, deviennent symboles d’instinct et de renaissance. Les plumes, présentes dans sa série Liquids, rendent hommage au corbeau, oiseau cher à sa grand-mère. Elles se retrouvent également dans Your last Birdsong, un projet dédié à une autre âme qui a partagé sa vie, disparue.Ces hommages silencieux traduisent la dimension spirituelle et mémorielle de son œuvre.


Entre Romantisme et Symbolisme, Audrey compose des tableaux photographiques d’une intensité rare. Elle s’inscrit dans la lignée d’artistes pour qui la beauté n’est jamais un artifice mais un état de vérité. Ses images, souvent sombres, ne sont jamais glauques : elles cherchent la lumière au cœur de la nuit. La résilience, la douceur et le lâcher-prise y deviennent des formes de résistance.


Dans cette maturation artistique, Audrey s’affirme pleinement. Elle ose, elle s’affranchit. Sa photographie devient un territoire de liberté où elle peut aborder tous les sujets, même les plus intimes, les plus douloureux. Son art est un combat contre la peur, mais aussi un hymne à la vie.« Une œuvre vit à travers les yeux de celui ou celle qui la regarde », dit-elle souvent. Dans ses paysages mystiques, dans ses portraits suspendus, nous voyons se refléter notre propre humanité.Entre science et rêve, entre contrôle et abandon, Audrey explore le vivant dans toute sa complexité. Son œuvre, à la fois picturale et organique, trace un chemin vers l’apaisement, celui d’une femme qui, à travers la lumière et le temps, a trouvé la liberté d’être pleinement elle-même.


Dre Marie Bagi

Directrice du Musée Artistes Femmes (MAF)


Publié le 4 novembre 2025



 
 
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